Audition de Cumuleo au Parlement fédéral
Cette audition au Parlement fédéral porte sur les améliorations à apporter au projet de loi du gouvernement VIVALDI concernant la transparence des autorités publiques fédérales.
S'il est un droit qui est mal respecté en Belgique, c'est bien le droit d'accès aux documents administratifs conféré par l'article 32 de la Constitution.
Cela fait 14 ans que j'ai lancé le site Cumuleo. Je n'ai pas comptabilisé le nombre de demandes d'accès à des documents administratifs que j'ai introduites, mais il s'agit d'un nombre à trois chiffres.
De cette expérience, il ressort que le non-respect du droit d'accès aux documents administratifs est la norme, son respect reste l'exception.
- Vous sollicitez copie des délibérations d'un conseil de police. La zone de police vous refuse la transmission de ces documents et mandate un avocat qui vous envoie un courrier d'intimidation. Culture de la non-transparence.
- Ma commune me refuse la copie d'un permis d'urbanisme délivré, pire, elle m'en refuse même la consultation sur place. Culture de la non-transparence.
- Vous demandez de simples documents à trois ministres du gouvernement fédéral. Vous n'obtenez aucune réponse à part des accusés de réception automatiques. Culture de la non-transparence.
La réalité du terrain montre que cette culture de la non-transparence est fortement ancrée. Cela dit probablement quelque chose sur l'état de notre démocratie.
Il appartient au législateur de mettre en place des mécanismes pour permettre aux citoyens et aux organisations de voir leurs droits fondamentaux respectés. En matière de publicité de l'administration, quels sont ces mécanismes ?
Mécanisme numéro 1 : Doter la Commission d'Accès aux Documents Administratifs, de son acronyme CADA, d'un pouvoir de réformation. En d'autres termes, rendre la CADA décisionnelle
Je voudrais illustrer la problématique d'une CADA fédérale qui est juste consultative en vous résumant un cas concret. En 2020, un citoyen sollicite l'accès à des documents détenus par un Service Public Fédéral (SPF). Il s'agit, entre autres, d'un avis d'un Comité de gestion. Quelques jours plus tard, il essuie un refus du SPF. Il introduit donc une demande de reconsidération au SPF et une demande d'avis à la CADA fédérale. Dans ce dossier, la CADA remettra son avis le 13 juillet 2020, il s'agit de l'avis 2020-85. Dans cet avis, la CADA confirme que le document demandé est un document administratif et qu'il doit être transmis au demandeur. Est-ce que le SPF s'exécutera suite à l'avis de la CADA ? La réponse est négative.
Face à cette inertie, le demandeur ira même jusqu'à saisir le médiateur duquel dépend le SPF. Est-ce que cela permettra d'obtenir le respect de son droit constitutionnel d'accès au document en question ? La réponse est, à nouveau, négative. Pire, un mois plus tard, le SPF écrira au demandeur pour lui confirmer son refus catégorique de transmission de l'avis sollicité du Comité de gestion.
Une CADA consultative ne permet donc clairement pas d'obtenir l'effectivité du droit d'accès aux documents administratifs conféré par l'article 32 de la Constitution.
En réformant ce système, les législateurs des entités fédérées ne se sont pas trompés. Le caractère consultatif de la CADA n'est clairement pas à la hauteur de l'importance de l'enjeu de la transparence dans une société contemporaine. Doter la CADA d'un pouvoir de réformation, comme c'est maintenant le cas pour toutes les autres CADA du pays, est une étape indispensable pour améliorer l'effectivité du droit d'accès aux documents administratifs.
Mécanisme numéro 2 : En parallèle du pouvoir de réformation, il convient de doter la CADA fédérale d'un pouvoir d'investigation et de contrainte comme c'est le cas pour son homologue bruxelloise
En effet, il n'y a pas que les citoyens qui font face à des autorités publiques réfractaires à la transparence. Dans certains dossiers, les CADA sont, elles-mêmes, confrontées à des autorités publiques qui refusent de collaborer et de leur transmettre les documents concernés par le recours.
Là encore, le législateur a la possibilité d'agir en mettant en place un mécanisme pour que la CADA puisse, si nécessaire, user de la force publique afin de se procurer les documents que des autorités tenteraient illégalement de lui soustraire.
Il convient également de prévoir dans la législation qu'en cas de non-collaboration de l'autorité avec la CADA, la décision de transmission soit automatiquement positive.
Mécanisme numéro 3 : Mise en place d'un régime de sanctions adaptées et applicables
La violation de l'article 32 dans la Constitution est, en réalité, déjà sanctionnée. Et la sanction est lourde : 15 jours à un an de prison, il s'agit donc d'un délit pénal. Cette sanction découle de l'article 151 du Code pénal. Cet article sanctionne les atteintes arbitraires aux droits garantis par la Constitution qui ne bénéficient pas d'une sanction spécifique prévue par un autre article du Code pénal. C'est le cas de l'article 32 de la Constitution.
Toutefois, vous imaginez bien qu'il s'agit là d'une sanction symbolique. En Belgique, on ne met pas en prison le responsable d'une autorité publique même si celui-ci bafoue ouvertement la Constitution en refusant l'accès à des documents administratifs. L'état de droit à ses limites.
Faut-il pour autant laisser ces infractions impunies ? Non. Un régime de sanctions dissuasives, tout en étant effectivement applicables, doit être mis en place. Les autorités administratives récalcitrantes à la transparence doivent savoir que leurs refus illégaux ne seront pas sans conséquence.
Une loi sans sanction pour le contrevenant est, en réalité, une loi de papier.
La mise en place de ce triptyque "CADA décisionnelle", "pouvoir d'investigation" et "sanctions adéquates" est un signal fort et volontariste qui serait envoyé par les députés fédéraux en matière d'amélioration de la transparence et du respect des droits fondamentaux des citoyens en la matière.
Au-delà du rôle de la CADA, je voudrais également attirer votre attention sur différents points à propos du projet de loi qui nous occupe ce jour.
Premièrement : Concernant le nouveau motif d'exception visant les cabinets ministériels
Comme vous le savez, en 2019, l'organe anticorruption du Conseil de l'Europe a, entre autres, recommandé que les cabinets fédéraux soient clairement soumis au champ d'application de la loi relative à la publicité de l'administration.
D'un côté, le projet de loi répond à cette recommandation, et de l'autre, il limite drastiquement la publicité des documents détenus par les cabinets via l'introduction d'un nouveau motif d'exception absolu visant spécifiquement ces cabinets.
Même le Conseil d'Etat se questionne sur l'intérêt de ce nouveau motif d'exception tant les motifs d'exception actuellement présents dans la loi sont manifestement suffisants.
Cette limitation de la transparence des cabinets ministériels n'a pas lieu d'être et doit être abrogée.
On notera que les cabinets ministériels bruxellois ou wallons, pour ne citer qu'eux, sont depuis toujours soumis à la publicité sans qu'aucun motif d'exception sur mesure n'ait été introduit dans la législation. Et cela ne les empêche nullement de fonctionner.
Deuxièmement : A propos de la problématique de la demande de reconsidération
Dans le système actuel de la CADA fédérale consultative, le demandeur à l'obligation d'introduire préalablement à sa demande d'avis à la CADA, une demande de reconsidération à l'autorité auprès de laquelle il sollicite l'accès à des documents. Pour que la demande d'avis soit valide, la règle impose que la demande de reconsidération et la demande d'avis soient impérativement introduites le même jour. Doter la CADA d'un pouvoir de réformation (CADA décisionnelle) permettra, comme cela s'est fait dans les entités fédérées, de supprimer la contrainte de la demande de reconsidération.
La procédure de recours s'en trouve facilitée et on évite le risque que des demandeurs ne soient déboutés par la CADA pour ne pas avoir respecté cette contrainte.
Troisièmement : Concernant le délai maximum pour l'introduction d'un recours auprès de la CADA
Si les députés confèrent à la CADA fédérale un pouvoir de réformation, ce que j'espère vivement, se pose alors la question du délai maximum octroyé aux demandeurs pour introduire un recours auprès de la CADA. J'invite les députés à prévoir un délai le plus long possible. Six mois seraient un bon délai.
En effet, un délai de rigueur trop court prive le demandeur de la possibilité de négocier un calendrier de transmission avec une administration qui se montrerait de bonne foi, mais qui signalerait une surcharge temporaire de travail. Avec des délais de rigueur trop courts, le demandeur se voit obligé d'introduire un recours pour ne pas perdre définitivement ce droit.
Ce passage en force est désagréable et le plus souvent mal perçu par les fonctionnaires, ce qui est de nature à dégrader les relations entre les administrations et les administrés.
Quatrièmement : Documents administratifs versus informations environnementales
Une des difficultés en matière d'accès aux documents administratifs provient de l'existence de textes différents pour les documents administratifs et pour les informations environnementales.
Il peut s'avérer difficile de savoir si le document que vous demandez est de nature environnementale ou non. D'autant plus que, par définition, au moment d'en faire la demande, vous n'êtes pas en possession dudit document. Le projet de loi du gouvernement ne prévoit pas de fusion des textes législatifs concernant les documents administratifs et les informations environnementales comme cela a été, par exemple, fait à Bruxelles. Et qui dit deux textes de loi, dit deux CADA.
A défaut de fusionner les textes et les CADA, il serait utile que le législateur prévoie un mécanisme de réorientation d'un recours qui aurait été, malencontreusement, introduit auprès de la mauvaise CADA (par exemple auprès de la CADA publicité de l'administration pour un document qui s'avère être de nature environnementale ou inversement). Le mécanisme devrait permettre au demandeur de voir sa demande automatiquement transférée à la bonne CADA sans qu'il ne soit débouté par celle-ci pour dépassement du délai d'introduction du recours.
Cinquièmement : Concernant la date d'entrée en vigueur de la loi
Le projet de loi prévoit une entrée en application au 1er avril 2024. On peut se questionner sur l'utilité du renvoi à une date aussi éloignée. Le cas échéant, si certains articles le nécessitent, le renvoi de l'entrée en vigueur pourrait être limité à ces articles et non à l'ensemble du texte.
Pour conclure, il serait dommage de réviser la législation de 1994 suite aux recommandations du GRECO sans moderniser cette législation en réalisant toutes les adaptations rendues nécessaires par les défauts constatés dans la loi et par les évolutions positives de la société en matière d'exigence de transparence.
Si le législateur fait preuve d'ambition, il a la possibilité de rédiger une loi qui pourra être stable dans le temps.